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Doumouya, Khadim. “Le délire paranoïaque de Céline : Une étude dans Bagatelles pour un massacre et entretiens avec professeur Y ; entre psychose, névrose et antisémitisme.” American Journal of French Studies, 2021.
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Le délire paranoïaque de Céline : Une étude dans Bagatelles pour un massacre et entretiens avec professeur Y ; entre psychose, névrose et antisémitisme.
Introduction
Écrivain emblématique, Louis-Ferdinand a provoqué le scandale et la consternation par ses prises de positions idéologiques à l’orée de la seconde guerre mondiale, le condamnant à l’exile géographique, politique et même littéraire. En effet, Céline a subi durant toute carrière d’écrivain une censure de la société Française et notamment de ses paires et contemporains qui le percevaient comme étant subversif et en même temps paranoïaque. Il attisait notamment le feu de la haine antisémite en Europe à travers tous ses ouvrages qui lui ont servis d’armes dans les temps de la guerre. Cependant toute la littérature de Céline n’est pas faite que d’insultes et d’injures, il y a dans ses écrits un ton émotionnel qui mérite une grande attention des plus scrupuleuse. En effet, les textes de Louis Ferdinand Céline poussent le lecteur à se surpasser afin d’admirer le fond de la pensée de cet écrivain de génie qui est peut-être mal compris et qui passe toujours comme un paranoïaque. Céline possède un langage singulier qui transmet l’émotion du langage parlé dans l’écrit. Donc l’invention de sa langue lui permet de transposer ses émotions réelles et d’en faire un chef d’œuvre époustouflant qui peut mener le lecteur vers des réflexions assez poussées concernant l’état d’esprit de l’auteur. Céline possède un verbe et une écriture originale qui trouvent ses racines dans l’argot parisien. Ce langage singulier lui permet d’ailleurs une meilleure expression de sa subjectivité sur les questions réelles de son temps. La paranoïa de Céline est hautement symbolique et peut être étudié sous plusieurs formes d’autant plus que l’écrivain lui-même se définit comme un petit inventeur dans Entretiens avec le professeur y où il décrit avec précision sa personnalité d’auteur et aussi en même temps il n’hésite pas de déverser sa bile sur ses contemporains notamment Gaston Gallimard et tant d’autres écrivains qui l’ont aussi précédé.
Le délire paranoïaque est omniprésent dans toutes les œuvres de Céline mais peut-on décrypter ou analyser cette condition mentale de l’auteur ? La réponse semble être positive car c’est l’une des pistes d’exploration des écrits de ce génies mal aimé par certains mais qui reste tout de même un écrivain chevronné et très critique de son temps à travers le lourd contexte de la seconde guerre mondiale. Par conséquent, une étude approfondie s’impose afin de dénicher les secrets cachés de ces trésors enfouis dans cette littérature subversive, antisémite et grotesque. À l’aide de deux ouvrages que sont Entretiens avec le professeur y et Bagatelles pour un massacre l’on parviendra à faire cette analyse psychologique de l’état de conscience de Céline qui se trouvait seul face à un public qui le comprenait à peine. À travers ses deux ouvrage, Céline exprime tout son désarroi et sa pensée face à ses détracteurs et aussi face à l’expansion juive en Europe.
Son état paranoïaque le pousse à se surpasser et à ne pas utiliser de langue de bois. En effet cette psychose qui s’est installée dans les écrits de Céline démontre quand même que l’auteur peut mener ses lecteurs vers des sentiers troublants à leurs dépens ou à leur joie, tout en sachant aussi que cette virulence constitue un remède à un chagrin inavoué. Tout compte fait, les lignes à venir serviront de réponses à plusieurs questions soulevées jusqu’à présent par différentes critiques et aussi admirateurs de Céline tels que Henri Godard qui a consacré des ouvrages sur Céline à savoir Les manuscrits de Céline et leurs leçons ou même À travers Céline, la littérature et surtout dans la bibliothèque de la pléiade pour ne citer que ceux le. Cette analyse dans les pages à venir consiste donc à apporter une contribution sur l’exploration de cette paranoïa qui jaillit dans l’écriture de Céline. Cependant, force est de reconnaître que l’auteur met ses lecteurs aux défis tant bien qu’il est difficile d’affirmer que ces réactions paranoïaques viennent de la manipulation de l’auteur ou elles découlent de la spontanéité. Le plus important reste à magnifier le travail d’artiste de celui qui s’affirme “inventeur” de son propre style.
Une paranoïa antisémite
Comprendre Céline, c’est avant tout comprendre son état d’esprit et son comportement mentale qui s’est toujours traduit dans sa plume. En effet dans tous ses ouvrages, Céline n’a pas manqué de montrer son côté obscur en tant qu’être humain mais aussi en tant que témoin de la seconde guerre mondiale. Afin de se faire une idée sur le personnage, il faudra remonter le temps jusqu’aux humanités de celui qui est en 1894 à Courbevoie d’une famille modeste d’un père employé d’assurance et correspondancier et d’une mère commerçante en dentelle, Céline entra dans l’armée en 1912 et reçoit une médaille d’honneur pour bravoure lors de la première guerre en 1914. Il faut aussi noter qu’il est devenu après médecin en obtenant son doctorat qu’il a consacré sur une série d’histoires sur l’œuvre et la vie de Philippe Ignace Semmelweis un médecin Allemand. Par la suite il intègre la société des nations qui l’envoie en mission aux Etats unis où il fait l’étude des usines Ford.
Il a eu l’occasion de découvrir cette partie du monde et en a profité pour désaccord face à l’essor de la machinisation du monde. Plus tard dans le développement du texte il y aura plus de détails sur cette prise de position car Céline montrait un rejet de l’industrialisation du fait que sa mère dentellière donc qui utilisait un travail manuel a dû faire face au développement de la manufacture et a vu ses chiffres d’affaires baissés. Céline donc a développé cette haine passionnelle face à ce phénomène. En parlant de cette vision viscérale de Céline sur le monde qui l’entoure on peut affirmer que l’écrivain était en désaccord total et l’a fait savoir dans tous ces ouvrages que ce soit dans ses romans ou dans ces pamphlets. Pour Céline le monde où il vit est imparfait et que tout est injuste d’une manière que lui-même essaie de se trouver, cependant cela constitue une grosse menace à sa carrière d’homme de lettres. Il a été contraint de s’exiler plusieurs fois en ces temps de guerre entre l’Allemagne, et le reste de l’Europe et plus précisément la France. Céline vit dans son propre monde même s’il n’est pas seul dans son combat car il y avait son ami Denoël qui l’aida à publier ses ouvrages tels que Mort à crédit en 1936 qui n’est pas bien accueillie par le public et cela suscita une grosse déception chez l’auteur.
Cette œuvre qui détient une prose musicale sur un style hyperbolique n’a pas connu un réel succès. Un peu plus tard Céline sort un pamphlet qu’il intitule Bagatelles pour un massacre qui sera retiré par Denoël et Céline même si l’ouvrage n’a pas été censurée. C’est d’ailleurs cet ouvrage qui intéresse notre exploration de la paranoïa de Céline car dès lors que cela marque une différence entre ses romans et ses pamphlets. En effet, les pamphlets de Céline sont illustratifs de son état d’esprit et de sa névrose qu’il développe tout au long de la structure lyricale de ces ouvrages.
Dans Bagatelles pour un massacre Céline établit un langage cru doublé d’un ton trop obscène selon certains mais qui définit parfaitement cette paranoïa névrosée qui n’est rien d’autre que la phobie du juif, une phobie tellement aggravée que l’on peut déceler cette psychose entrainée par cette fureur et cette haine. L’importance est donc d’analyser les tenants et les aboutissants d’une telle psychose chez Céline. En effet comme tous les autres ouvrages de Céline, Bagatelles pour un massacre met en parfaite en exergue ce côté antisémite de Céline et le met à nu face à ses prétentions et à ses aspirations en tant qu’écrivain à part, dans sa propre bulle. Cependant on peut en dire un peu différemment de Entretiens avec le professeur y où l’on retrouve un vrai délire paranoïaque révélatrice d’une psychose qui s’appuie sur une intériorisation du sujet chez Céline. Ici le lyrisme de Céline sert à exprimer ses émotions et lui permet de mettre l’accent sur le “Moi” intérieur de ce dernier.
Dans cet ouvrage Céline y montre aussi la mesure de sa paranoïa entre ses conflits avec le monde qui l’entoure notamment avec certains auteurs contemporains car il est convaincu d’être un écrivain maudit par tout le monde. C’est exactement cette posture de Céline qui constitue une piste d’exploration de sa paranoïa avancée. Cela étant dit, il est clair et prudent d’étudier cette condition mentale en la diagnostiquant de folie. En effet Céline développe des signaux qui peuvent souvent démontrer une folie délirante mais qui s’apparente plus à une folie qui trouve ses racines sur la psychanalyse de Freud et de Lacan.
L’intériorisation du sujet pour appréhender cette paranoïa
En explorant ces deux illustres auteurs que sont Freud et Lacan, on se rend compte que l’intériorisation du sujet est divisée en trois phases que sont le super ego, le moi et le ça. Pendant que le premier se traduit par la loi, le moi lui reflète un ensemble de projections et d’identifications dans l’imaginaire tandis que le ça constitue le réel. Selon Freud dans la psychanalyse l’instinct mène vers la pulsion et que dans le ça il existe deux principes que sont le “éros” c’est à dire la vie et le “thanatos” qui s’apparente à la mort. Dans le cas de Céline, ses pulsions peuvent automatiquement être logées dans l’état d’avancement de sa paranoïa par l’intensité de ses textes à travers cette expression incessante de son écriture.
Donc il est essentiel d’examiner l’influence de Freud dans la littérature de Céline et il est fort possible qu’il ait lu Les essais psychanalytiques et aussi Au-delà des principes du plaisir de Freud où il est question d’analyser les formes psychanalytiques humaines. Dans ses correspondances à la lettre 33-44 « J’aurai besoin que vous me traduisez les articles de Freud. » comme aussi dans la lettre 33-45 « Il y a tout ce déballage psychanalytique depuis Freud. » ; ces correspondances de Céline montre alors l’intérêt qu’il pouvait porter sur les écrits de Freud, cependant il n’en demeure pas moins que Céline n’était pas toujours en phase avec la logique de ce dernier car selon lui « Les travaux de Freud sont réellement importants, pour autant que l’humain soit important : » ( les correspondances lettre 33-81), ici pour Céline, l’humain ne semble pas important tout au contraire de Freud qui lui s’intéressait à l’Homme dans sa psychique.
Cette contradiction avec Freud nous amène à nous questionner sur les réelles motivations de Céline dans ses textes, que ce soit dans les pamphlets ou dans ses romans, tous y passent car définir le style paranoïaque de Céline amène toujours à analyser ses relations avec les autres si l’on définit la paranoïa comme une condition mentale qui se révèle essentiellement par un discours argumenté, d’apparence logique, mais cependant délirant, puisque étayé par un réseau d’illusions , alors il est clair que Céline détient un langage et une rhétorique assez troublants face à son public et surtout face à l’humain car Céline peut être vu même comme un manipulateur au vrai sens du terme du fait de la manière dont les mots et les termes sont utilisés notamment dans les pamphlets où cette paranoïa antisémite peut être assimilé à une façon de mener les lecteurs soit au combat ou bien à une forte révolte contre les juifs.
Donc cet état d’esprit de Céline est assez ambigu sur plusieurs formes et le plus on explore le texte, le plus on se rend compte de ce côté maîtrisé dans cette paranoïa antisémite et comme l’atteste Philippe Roussin « Les pamphlets feignent d’être ce qu’ils ne sont pas, ne se donnent pas pour ce qu’ils sont : ainsi, le texte donne pour le résultat d’un emportement personnel et passionnel du sujet un ensemble de thèses qui sont précisément, celles de la propagande antisémite de l’époque. » ( La voix d’injures dans les pamphlets de Céline p 304 ) Selon Roussin, cet écart entre l’effort de l’expression et sa réalité rhétorique se définit comme une manipulation discursive du moment que Céline passe pour un être touché par l’envahissement des juifs en Europe et donc le lecteur peut avoir cette impression qui le guide vers une profonde émotion d’injustice et aussi cela permet à Céline de se hisser dans un état mental le mettant dans une position de liberté car pouvant sortir ce qu’il a dans les tripes de façon spontanée et en même temps très directe. Le lecteur se trouve submergé donc par cette émotion enlacée dans un discours pathétique et haineux.
Cette paranoïa montre clairement que Céline demeure un génie de l’écriture même s’il ne faisait pas l’unanimité chez certain. Il faut reconnaître son talent qui allie rhétorique et émoi afin de mieux toucher son lecteur. L’autre aspect de cette paranoïa reste aussi l’intériorisation du sujet par Céline qui tend à rechercher un sujet par lui-même dans l’écriture, cette même écriture qui le hisse à un niveau mental pouvant apporter des réponses à ses angoisses et ses peurs. En effet, le thème de l’intériorisation du sujet est récurrent dans les textes de Céline et il aide à mieux cerner cette paranoïa et d’ailleurs plusieurs auteurs ont traité de ce cas particulier dans la littérature. Pascal par exemple aborde une intériorisation chrétienne de façon à l’examiner d’une façon profonde et raffinée, de même que Saint Augustin dans Les confessions. Descartes aussi prône pour l’individualisme du sujet car cette piste rapproche l’être de sa vraie nature et de son aspect le plus enfouis dans lui-même. Cette intériorisation trouve ses sources dans ce côté mystique et spirituel qui pour n’existe pas Céline. Cette intériorisation chrétienne est en quelque sorte une phase de cette quête d’identité chez l’homme qui face à sa condition humaine trouve refuge dans la spiritualité et aussi dans les canaux mystiques.
Chez Céline tous ces aspects peuvent être transcender d’une autre manière ; sa condition humaine le pousse à se surpasser pour ressortir son état paranoïaque et donc afin de mieux cerner cette psychose chez Céline il est nécessaire de passer par l’étude psychanalytique de Freud pour en sortir quelques réponses sur son état psychique. L’intériorisation du sujet chez Freud est donc segmentée en trois parties que sont le symbolique, l’imaginaire et le réel, tous des états psychiques très répandus dans le « moi » de l’être humain mais selon Lacan, le moi est impossible à formaliser car découlant de la définition de Dieu dans la théologie catholique. Pour lui la religion est une nervosité obsessionnelle du fait de l’importance de collectionner minutieusement les faits, les symboles des choses, du langage et des références. Cette analyse avancée du comportement paranoïaque chez Céline pousse alors à explorer la relation inter sujet que Freud établit comme suit dans un schéma qui met en exergue le discours psychanalytique, hystérique, le discours de l’université et le discours du maître. Chez Céline le discours du maître est très présent avec un ressenti de psychose paranoïaque qui lui permet de ressortir son angoisse et ses émotions.
En effet selon Freud la névrose et la psychose sont donc l’une comme l’autre les expressions de la révolution du ça contre le monde extérieur. Ils sont des tentatives de réparation par rapport aux lois qui s’imposent. Les écrits de Céline reflètent à merveille cette tentative de fuite et on le voit plus précisément dans Entretiens avec professeur Y où le sujet détaché essaie de se libérer des tentacules qui l’empêche de sortir sa pensée et de montrer comment il est différent des autres écrivains.
Dans ce texte la paranoïa de Céline est révélatrice de son combat face aux défis de son temps car pour lui il y a beaucoup à refaire dans ce monde qui est mal défini par les êtres humains. Céline profite de son style elliptique pour défoncer tous ses contemporains dans la littérature. Il y fustige le style et la méthodologie des écrivains qu’il voit comme dépourvu de véritable sens et de frivole en même temps. Cette frustration se manifeste dans tous ses ouvrages mais dans celui-ci la paranoïa est présente de façon permanente et il est nécessaire de déterminer l’état d’état de Céline pour en trouver les sources de cette hystérie. Il utilise alors cette technique grotesque pour faire sortir ses sentiments dans le but est donc de toucher ses lecteurs et il l’affirme dans sa correspondance à Evelyne Poulet « Il faut travailler davantage, ne pas imaginer qu’on a fait ressentir ce qu’on a seulement ressenti, l’expression seul de nos sentiments ne suffit pas qu’on les fasse ressentir aux autres » (Godard 199), c’est-à-dire il veut faire sentir aux l’expression de ses sentiments à travers ses procédés.
La paranoïa de Céline est de plus en plus basée sur une forte rhétorique comme procédé afin de faire sentir son intérieur et selon lui donc il faut une distance et un travail sur la langue et le style elliptique lui permet alors de faire participer aux lecteurs dans sa danse paranoïaque qui vise non seulement à attendrir ses émotions les plus profondes. Cependant Céline refuse l’intériorisation du sujet, c’est à dire que le sujet doit s’extérioriser plus d’avantage pour toucher les autres. Dans Bagatelles pour un massacre la paranoïa est alors basée sur un discours violent et pathétique. Céline y démontré en même temps une liberté dans ce texte. Il réagit à sa souffrance de voir l’hégémonie juive en Europe. À cet effet Il utilise un “Je” qui n’est pas détaché du tout, un je omniprésent qui lui sert d’outil de révolte et de réaction à ce qui l’affecte et de ce qu’il souffre. Alors donc il est clair que le discours dans Bagatelles pour un massacre est tenu pour le fait d’un sujet, d’une expression intime et enthousiaste et donc le produit d’une humeur.
En effet, dans un ce texte Céline tient un discours pathétique qui laisse le lecteur avec un sentiment de se trouver devant un sujet dans la violence primitive de son expression. L’hystérie paranoïaque de Céline lui permet de mettre les symptômes de son mal en avant, en quelques sortes, il met ses tripes sur la table pour s’exprimer et se défouler contre tous ses détracteurs car lui-même se présente comme anathème, excommunié, objet de la malédiction de la société littéraire, l’écrivain traîné dans la boue et qui utilise l’autodépréciation, le chleuasme. L’antisémitisme de Céline provient de son enfance lorsque son père accusait les juifs d’être responsables de la chute du commerce de dentelle de sa femme, pour lui les juifs sont les responsables de cette faillite de l’entreprise familiale et donc ils sont les causes du mal d’après Frédéric Vitoux dans la vie de Céline. Dans ce texte Vitoux nous éclaircit sur la vie de l’auteur et c’est évident donc que le passé et les habitudes de l’écrivain « Il faut toujours garder à l’esprit l’image d’un Céline blessé, solitaire, renfermé dans ses bourdonnements d’oreilles, ses maux de tête, ses hallucinations auditives. », (La vie de Céline p 317).
Ce passage est clairement illustratif de l’état mentale de Céline qui a longuement était affecté par sa vie malheureuse lors de la guerre et aussi de sa souffrance face à sa marginalisation. Dès lors, la paranoïa de Céline s’érige en baromètre pour expliquer sa psychose qui découle de sa phobie des juifs et des conflits qui l’opposent à ses paires. Cette paranoïa antisémite de Céline est très marquée dans bagatelle pour un massacre lorsqu’il affirme « Ils l’ont belle ! Ils l’ont magnifique ! …Corrompre largement. Plus intimement… Ils n’ont jamais rencontré sur les routes de leur triomphe des hordes larbines plus serviles… » (Bagatelle pour un massacre p 41), dans ce passage Céline défoule ses pulsions et exprime une colère qui n’est rien d’autre que le fruit de tous ces émotions réunies en lui et dont il ne peut se libérer. L’analyse de cette psychose chez Céline est plus vigoureusement étudiée si l’on se réfère à Lacan et à Freud qui définissent le psychotique comme quelqu’un qui ne voit plus le monde, il se croit seul face au reste du monde. Si l’on définit la psychose comme étant une tentative de fuite, il est évident d’imaginer Céline comme étant possédé par le désir de se faire justice lui-même et il n’affirme dans la lettre à Théophile Briant « Rien n’est à retrouver… C’est le complot aux ombres et le maudit en rage aux bribes de nos âmes ! » (Céline et l’actualité littéraire, p 138). D’après Freud la névrose ne dénie pas la réalité, elle ne veut rien savoir, et alors Céline s’inscrit dans cette phase psychique car il déconstruit la réalité de l’écriture pour en sortir un élément qui perturbe le subconscient de son lecteur.
La névrose empêche de fonctionner dans le monde extérieur tandis que la psychose demeure la création d’un espace pour remplacer le monde réel. Céline veut alors tout faire ressentir, tout montrer avec une précaution fondamentale. Jacques Lacan dans Le Séminaire livre III dira « Schreber n’est pas, il y a poésie chaque fois qu’un récit nous introduit à un monde autre que le nôtre et nous donne la présence d’un être dans un certain rapport fondamentale » (Les psychoses p 93). Cette affirmation vient corroborer ce que l’on pense du pouvoir de l’écriture de Céline. La relation inter sujet est délicate dans l’approche de l’étude de la paranoïa de Céline et Freud décortique excellemment les relations entre le réel, l’autre, le moi et le super ego qui est symbolique. Chez Céline l’écriture remplace les mots pour guérir. L’écriture constitue le salut. Même si on se réfère à Nietzsche, avec son ouvrage Le dernier homme où il du sujet chrétien qui s’épuise. Cela mène la réflexion en contraste avec le sujet de Céline qui balaie la thèse divine dans l’appréhension du sujet. Pascal aussi critique l’écriture de l’autobiographie, selon lui le « moi » doit se tourner vers Dieu et donc ne doit pas être détourné de ses fonctions. Selon lui le « moi » est haïssable. La vision du « moi » ne peut être la vision juste car étant trop subjective. Céline critique le « moi » aussi dans ce cas car selon lui tout moimoisme est méprisable. Le « moi » de Céline est finalement expérimentale et donc se construit de manière rhétorique.
En effet cette paranoïa chez Céline tend à se pencher du côté d’une bonne rhétorique même si dans Bagatelle pour un massacre cette rhétorique laisse place à une expression totale des sentiments antisémites chez Céline donc c’est une paranoïa incontrôlée d’une certaine manière. Dans le texte, le « je » n’est pas détaché et donc il occupe toutes les positions, ce qui n’est pas le cas dans Entretiens avec professeur y où Céline manipule le sujet pour exprimer ses raisonnements, ses craintes, et surtout sa fureur. On note subséquemment l’apocalypse du « moi » chez Céline et dans Entretiens avec professeur y, l’art poétique constitue une narration qui révèle le conflit de Céline avec Jean Paulhan de la Nouvelle Revue Française, la paranoïa l’amène même à traiter Paulhan de tueur en gage. Dans le texte on s’aperçoit que l’émotion de la langue parlée est une émotion produite par l’écrit et il la dit « L’émotion dans le langage écrit !… Le langage écrit était à sec, c’est moi qu’ai redonné l’émotion au langage écrit !… Comme je vous le dis ! … » (entretiens avec le professeur y pp.22-23).
Il faut connaitre donc maîtriser la rhétorique pour émouvoir. Cependant le délire paranoïaque découle de la jalousie de Céline et de névrose obsessionnelle car il se considère comme le sommet, selon lui, il ne peut y avoir un écrivain qui peut le concurrencer. En revanche Céline montre une paranoïa basée paradoxalement sur une psychose et sur une névrose. La psychose de Céline lui permet de vivre en autarcie loin des autres styles et courants littéraires tandis que la névrose chez Céline découle de la haine du juif, une phobie aggravée.
Conclusion
Se plaçant dans une lignée de tout sublimer, Céline se présente comme un écrivain unique du fait de son style et sa particularité qui pendant des années ont été des sujets de controverses dans la littérature universelle. Cependant force est de reconnaître que sa plume ressort l’expression d’un homme atteint par une autre condition mentale qui peut être la différencie des autres. Durant sa carrière d’écrivain, Céline n’a cessé d’émerveiller ses lecteurs et il continue de les façonner jusqu’à nos jours. Dans ses textes on y retrouve des thèmes majeurs de son temps mais aussi sa rhétorique faisant de lui un auteur incontournable. Toutefois, Il manifestait une paranoïa très avancée qui peut être due à plusieurs facteurs mais l’exploration de ses textes mène à consulter des auteurs philosophiques qui ont traité de la psychanalytique tels que Freud, Lacan et même Nietzsche, tous des auteurs importants pour comprendre Céline car ce dernier possède une plume qui concilie forme, style et surtout une profondeur dans la réflexion qui fait de Céline l’un des écrivains les plus marquant de la littérature française.
Références bibliographiques
Céline Louis Ferdinand, Bagatelles pour un massacre, éditions Denoël, 1937, p.41.
Céline Louis-Ferdinand, Entretiens avec le professeur y, Gallimard, 1955, PP. 22-23.
Céline Louis Ferdinand, Lettres, Édition d’Henri Godard et Jean Paul Louis, Collection Bibliothèque de la Pléiade, 2009, lettres 33-44, lettres 33-81.
Dauphin Jean-Pierre, Godard Henry, Céline et l’actualité littéraire, éditions Gallimard, 1976, p.138.
Gibault François, Céline, éditions Mercure de France, 1977.
Godard Henri, Les manuscrits de Céline et leurs leçons, éditions du Lérot, 1988.
Godard Henri, Poétique de Céline, éditions Gallimard, 1985, p.199.
Juilland Alphonse, Les verbes de Céline, éditions ANMA Libri, 1985.
Jacques Lacan, Le Séminaire livre III – Les psychoses, éditions Seuil, 1955-1956, p.93.
Roussin Philippe, Les voix d’injures dans les pamphlets de Céline, ethnologie française, nouvelle série. No. 3. Paroles d’outrages, Juillet-septembre 1992, pp 302-319.
Vitoux Frédéric, La vie de Céline, éditions Grasset & Fasquelle, 1988, p.317.