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Doumouya, Khadim. “Perspectives de défense des sans-voix et de prises de positions chez Marguerite Duras et J.M.G Le Clézio dans: Le Vice- Consul et Les Géants.American Journal of French Studies, 2021.

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Perspectives de défense des sans-voix et de prises de positions chez Marguerite Duras et J.M.G Le Clézio : Dans Le Vice- Consul et Les Géants.

 

Introduction

Marguerite Duras et Jean Marie Gustave Le Clézio, pionniers du nouveau roman ont marqué la littérature française et francophone du fait de leurs engagements et leurs prises de positions dans plusieurs de leurs ouvrages. En réalité, les deux écrivains, témoins de leurs temps ont su apporter leurs contributions face à plusieurs questions relatives à l’existence entre les hommes et les systèmes dans lesquels ils appartiennent.

  Alors que Duras se focalise plus sur les faits coloniaux et les inégalités que l’on retrouve dans nos sociétés qui sont sous l’emprise de l’impérialisme, Le Clézio a quant à lui consacre son écriture sur les disparités qui enfoncent nos sociétés dans le chaos mais aussi et surtout, il se révolte contre le système qui est mis en place et qui profite juste à une minorité dominante.

  Dans notre communication, il sera question d’analyser l’utilisation de techniques d’écritures tels que la méta fiction, la répétition et la déconstruction, afin de ressortir quel type de société leurs œuvres produisent tout en sachant que l’objectif principal de ces deux auteurs est de peindre une société dominée par des groupes d’individus qui font toujours office d’élite supérieure face à une masse parfois silencieuse, marginalisée voire exclue.

  Si l’on porte un œil attentif et approfondi sur deux de leurs ouvrages que sont Le vice-consul et Les géants, une analyse subtile peut être faite pour révéler le vrai sens de leurs combats qui continuent de trouver échos de nos jours avec des sujets d’actualités tels que la relation entre l’Homme et son destin et aussi le pouvoir de l’élite sur la faiblesse de la masse silencieuse et suiveuse.

 Dans le développement de notre argumentaire, il sera question d’étudier en profondeur les prises de positions des deux auteurs à travers ces deux ouvrages. Comment les deux écrivains ont procédé pour faire passer leurs messages ? Avec quelles techniques se sont-ils référés pour défendre les minorités ? Tant de questions qui nécessitent des argumentaires solides qui se trouvent dans les deux textes.

L’engagement de Duras dans Le Vice-consul

  Marguerite Duras est une écrivaine française de renommer grâce à ses facettes artistiques, car alliant le talent d’écrivain et de cinéaste. Elle a su tirer son épingle du jeu dans le paysage littéraire francophone. Ayant passé son enfance dans l’Indochine d’alors, Duras évoque souvent des souvenirs et des moments vécus dans cette région d’Asie. En effet, Elle a été témoin de la souffrance d’un peuple qui a vécu sous l’ère de la colonisation. D’ailleurs la colonisation constitue l’un des thèmes majeurs dans les œuvres de Duras et plus précisément dans son ouvrage intitulés Le Vice-Consul où elle fait le procès de l’impérialisme qui a décimé plusieurs populations Indochinoises. Dans ce sillage de la révolte, Elle préconise plusieurs techniques d’écriture pour asseoir sa position donc elle se met naturellement dans une situation de défense des sans-voix.

  Ce qui est intéressant de noter est le fait que Duras ait voulu pointer du doigt l’hégémonie occidentale avec une manière très artistique grâce à la littérature. Dans ce roman hautement engagé, Duras peint et déconstruit plusieurs symboles de l’impérialisme Français sur le territoire d’Indochine. Avec un titre très accrocheur du fait de l’évocation d’un symbole de la représentativité diplomatique de la France dans ces colonies, Duras amène ses lecteurs dans un récit polyphonique qui raconte l’histoire d’une jeune fille indigène enceinte qui se fait expulser de sa demeure familiale et une autre partie qui plonge le lecteur dans l’intimité de l’élite coloniale grâce aux personnages du vice-consul Jean-Marc De H et de Anne-Marie Stretter qui constituent de vrai mystères aux yeux même de leurs compatriotes.

  L’approche de Duras peut être jugé sophistiqué étant donné les techniques de répétitions et surtout l’utilisation de la métafiction qui est une technique qui consiste à allier la fiction à la réalité pour suggérer des faits dans la littérature. Pour conforter cette position une étude des personnages reste alors nécessaire pour une meilleure compréhension du texte.

  D’abord, le personnage de la jeune fille, protagoniste dans le roman et dont on ignore le nom jusque-là est très intrigante mais ce qui intéresse le lecteur c’est comment Duras arrive à créer une représentation de son histoire pour amener ce dernier à faire une immersion dans le monde indigène. Ce monde qui est parfois oublié par l’élite dans le roman quand bien même que le lecteur sent une dichotomie des deux univers que sont la vie au consulat et celle au dehors avec un peuple qui souffre. En quelque sorte la fille est représentative de l’Indochine car elle est perdue et alors entreprend une longue marche qui la mène vers des situations douloureuses. Cette marche de la jeune fille est métaphorique car évocatrice d’une perte de repères mais aussi elle constitue une quête de liberté.

  D’emblée dès le prologue du récit, le narrateur nous prépare vers l’évasion qui constitue une forte image dans l’esprit métafiction “ Elle marche […] Elle le fait. Elle marche pendant des jours, suit les talus, les quitte, traverse l’eau, marche droit, tourne vers d’autres marécages plus loin, les traverse, les quitte pour d’autres encore” (Le vice-consul, Page 9). Cet image de la jeune fille en marche est très emblématique d’une fuite parfois vers l’inconnu et si l’on s’arrête dans les premières pages du livre on se rend compte que Duras veut plonger son lecteur dans l’univers des pauvres et des marginaux parce que l’histoire de cette fille enceinte et rejetée par sa propre famille est très riche en enseignements sur le message et la prise de position de l’écrivaine qui nous pousse à repenser nos actes et surtout en même temps elle donne de la valeur aux personnes exclus car elle nous montre l’univers du quotidien de la jeune fille qui traverse plusieurs sentiers dangereux et qui est laissé à elle-même. En fait, la jeune fille va vivre dans les demeures des sans domiciles fixes et alors commence à s’adonner à la prostitution car ne pouvant pas avoir des revenus nécessaires pour survivre. Elle va même accoucher et donner son enfant à une inconnue parce que ne pouvant plus s’occuper de lui. Ici Duras porte une critique très sévère de la société qui a toujours tendance à marginaliser la femme. Dans ce même registre, Elle pointe du doigt l’exploitation faite aux femmes vulnérables grâce toujours à un procédé de la métafiction. Alors là on voit un brin de féminisme s’inscrivant toujours dans l’engagement de l’écrivaine qui peint une société très conservatrice et ancrée dans des traditions. Duras en tant que socialiste avérée parle souvent du colonialisme dans ses écrits et ce texte n’est pas en reste.

  Le thème de la colonisation est très bien abordé dans ce texte énigmatique qui touche beaucoup de sujets. En effet Duras jette un regard très critique et profond sur le comportement des colons dans les colonies d’Indochine où elle a vécu pendant son enfance et où tout a commencé pour elle. Effectivement, l’utilisation de la métafiction est rendue plus facile pour Duras du fait de son appartenance à l’Indochine où une partie de son enfance s’est passée et dès lors la représentation de l’image et de la fiction dans la littérature devient très subtile. De ce fait cette technique littéraire est très prisée pour décrire les personnages et leurs vécus quotidiens dans les colonies d’Indochine.

  D’abord le titre du roman est très révélateur de l’intrigue car un vice-consul est une référence à l’autorité administrative de la France. Duras utilise certaines techniques comme la répétition pour montrer les éléments grotesques à travers le personnage de Jean Marc De H qui est présenté en tant que marginal dans la société coloniale parce qu’il a été démis de ses fonctions de vice-consul de la France à Lahore à cause d’une fusillade qu’il a perpétré. Si l’on s’attarde un peu sur ce crime, on note le thème de l’ethnocentrisme “ Mais des lépreux ou des chiens ; est-ce tuer que de tuer des lépreux ou des chiens ?” (Le vice-consul, Page 94). En effet l’ethnocentrisme est notoire sur certains passages du texte et Duras évoque souvent ces crimes commis sur les indigènes ou sur certains individus tels que les lépreux pour dénoncer les inégalités de la société coloniale. En immersion dans la société de l’élite, Duras entre dans la vie de certains personnages pour notamment sortir leurs faiblesses et surtout montrer qu’ils sont des gens normaux avec des moments de bonheur et de malheur et avec des qualités et des défauts. Ce qui est frappant dans ce roman est que Duras marque une dichotomie des deux mondes car elle raconte l’histoire de la jeune fille dans un monde rempli de souffrance mais aussi elle nous amène chez les colons avec deux personnages typiques qui incarnent les marginaux bourgeois et si l’on note bien, le vice-consul n’a jamais été inquiété de croupir en prison parce qu’on constate que malgré son crime, l’administration prévoit de le muter vers une autre ville alors que la jeune fille elle a été chassée de son village natale, un village qu’elle nomma affectueusement “ Battambang” et qui se prédestine à être de l’utopie pour elle.

  Alors, Marguerite Duras a illuminé ses pensées les plus profondes dans ce qui peut être considéré comme un ouvrage majeur du genre littéraire du Nouveau Roman. Grâce à des procédés d’écriture sophistiqué, elle a su sortir les tares de la société impérialiste, de la société en générale. L’utilisation de récits polyphoniques reste un atout qui permet au lecteur de mieux percevoir le message et d’avoir des perspectives littéraires qui ouvrent d’autres questions existentialistes qui seront abordées dans ses autres ouvrages. Cependant en écrivaine engagée, Marguerite Duras a réussi à sortir certains éléments de la vie sociétale pour affirmer la voix de ceux qui sont oubliés tel est le cas de la jeune fille dans son récit et en même temps elle déconstruit les stéréotypes en utilisant une écriture grotesque afin de décrire les personnages qui sont représentés la plupart comme des marginaux dans une société hypocrite et très sévère vis à vis des ostracisés.

  Duras alors renforce son engagement politique à travers ses textes basés sur une fiction mélangée à une réalité et elle a essentiellement essayé d’entraîner ses lecteurs dans des univers parfois même conflictuels. Dans ce même sillage, elle rejoint Jean Marie Gustave Le Clézio qui lui aussi est très regardant de ce qui se passe dans le temps. Le Clézio aborde alors dans le même sens que Duras mais peut être avec une écriture plus subversive que la dernière nommée.

Le ton subversif de Le Clézio dans Les Géants

  Le Clézio arbore dans le même sens que tous ces auteurs engagés du vingtième siècle. Cependant Il préconise une déconstruction des textes pour mieux faire passer son message. En effet, l’écriture de Le Clézio découle d’une subversivité qui se ressent dans tous ses ouvrages plus particulièrement Les Géants, un ouvrage très engagé avec un texte très direct car pour lui il faut libérer le langage pour qu’il soit accessible à la masse et pour ce faire Le Clézio utilise une écriture anarchique qui défie les conventions littéraires classiques. Selon lui il y’a une perte de l’identité collective en faveur d’une identité personnelle grâce à la manipulation du langage par l’élite sur la masse. D’emblée dès le début du récit, il introduit le personnage de Bogo le muet, un personnage typiquement Leclézien qui subit le poids du système. Bogo est toujours présenté comme un garçon sans voix qui erre devant le supermarché “Hyperpolis” symbole du capitalisme et de la super puissance des grandes entreprises. En utilisant le personnage de Bogo, Le Clézio remet en cause le système et le dénonce en même temps. Dès le prologue de l’œuvre, il campe sur ses positions avec une affirmation “Je vais vous dire : Libérez-vous ! Il est temps, il est grand temps.” (Les Géants, Page 15), cette première phrase du texte montre clairement la position de Le Clézio car pour lui il faudra libérer la parole et se départir du système qui nous manipule dans la vie de tous les jours. Sa déconstruction du langage est très simple, pour lui il faut juste trouver d’autres sources de liberté afin de profiter pleinement de la vie.

  Souvent, dans le texte Le Clézio évoque la sensibilité maritime et comme on peut le voir toujours avec Bogo le muet qui passe la majeure partie de son temps en bordure de mer. Bogo est exclu de la société d’où il vit, il n’y existe pas.

  La littérature de Le Clézio est dominée par un registre très subversif avec comme mot d’ordre la libération du langage et donc pour lui la sensibilité maritime permet de s’échapper du monde moderne. Ceci est le but principal du texte Les Géants qui révèle les différents moyens utilisés par les grandes entreprises mondiales pour avoir plus de pouvoir sur la société, d’ailleurs c’est ce pouvoir qu’il préconise de combattre parce que pour lui la masse doit se libérer des goulots d’étranglements qui l’empêche de mieux vivre en harmonie avec la nature et ce qui amène toujours l’évocation de plage dont il fait référence le plus souvent dans ses textes. Il propose alors l’importance de nos rapports avec la nature, la terre mère.

  La déconstruction du langage est très claire et explicite dans ce roman à caractère un peu violent et c’est une prise de position unilatérale que Le Clézio s’est appropriée. Il pense que l’élite détient trop de pouvoir et que la masse est trop silencieuse face à une manipulation à travers le langage et la communication par le biais des publicités de masse. Tout au long du texte il élabore une écriture informelle en mélangeant parfois les mathématiques à la littérature avec l’utilisation de plusieurs signes algébriques et de figures géométriques pour asseoir sa technique de déconstruction des outils de communication des grandes marques. Pour Le Clézio on vit dans une société de consommation qui ne réfléchit pas trop à ce qui lui est proposé. Dans Les Géants, Le Clézio affirme sa position d’écrivain engagé avec une plume dévastatrice qui repousse les limites de l’imaginaire littéraire pour décrier ce qui se passe actuellement dans le monde et surtout les méfaits de l’urbanisation et il l’évoque explicitement et sans langue de bois dans un passage “ Les galets changeaient de place à cause des tempêtes et des bulldozers.” (Les Géants, page 112), ici il utilise un discours assez direct et très relatif à une sensibilisation sur les défis du nouveau monde car l’Homme est en train de détruire la nature par le biais des multinationales et d’une forte urbanisation.

  Le Clézio alors préconise une dureté dans la destruction du langage avec comme credo la libération des mots et c’est en quelque sorte une communication qui découle de l’idée de repenser les nouvelles formes de révoltes. Dans ce texte d’ailleurs l’évocation de solutions alternatives est assez direct comparé même à Duras qui se focalise la plupart sur les tares et les problèmes de la société. Le Clézio lui, évoque des canaux de libération à savoir la poursuite de nos rapports directes avec la nature et aussi une déconstruction des langages utilisés par les leaders de ce monde. Cet ouvrage illustre les pensées de Le Clézio de par son écriture totalement délibérée et subjective. En effet, Les Géants est une œuvre parmi les plus engagées de J.M.G Le Clézio, le style et le ton sont agressifs dans un sens où l’écriture paraît informelle et en même temps il entre dans le vrai registre du nouveau roman. Ce texte reflète une évocation de la liberté de l’Homme face à ses défis qui restent imminents et donc selon l’écrivain, on doit trouver des solutions alternatives pour se départir de ce système.

Conclusion

  A travers ces deux ouvrages, la littérature s’est donné une opportunité d’avoir une vocation qui est de défendre des prises de positions assez radicales mais normales et légitimes face à un monde bouleversé par la marginalisation des opprimés et aussi un monde qui subit des mutations grâce à des nouvelles formes d’impérialisme. Dans ce sillage de révoltes, Marguerite Duras et Jean Marie Gustave Le Clézio ont puisé dans leur imagination pour nous servir ces deux chefs d’œuvres très marquants de la littérature francophone. De surcroit, ces deux romans même s’ils ont été pensés et rédigés au milieu du Vingtième siècle, ils traitent non seulement de sujets d’alors mais aussi et surtout représentent une projection dans le futur qui est maintenant devenu notre quotidien. La dichotomie des idées et la richesse dans le style d’écriture des deux romanciers nous amènent à mieux réfléchir sur notre sort et aussi sur le devenir de la terre. Dès lors, on peut les considérer comme étant des visionnaires parce que la majeure partie des thèmes abordés dans les deux ouvrages sont toujours d’actualité dans notre temps contemporain.

Ouvrages cités

Duras Marguerite, Le vice-consul, Collection l’imaginaire, Editions Gallimard, 1966, pp.9-94.

Le Clézio J.M.G, Les Géants, Collections l’imaginaire, Editions Gallimard, 1973, pp 15-112.