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Grover, Dominic. “ Ferdinand Bardamu, ou la négativité sexuelle chez Céline.” American Journal of French Studies, 2021.

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Ferdinand Bardamu, ou la négativité sexuelle chez Céline

 

Introduction

Le héros célinien est-il un reflet fidèle de Céline ? Plus spécifiquement, le manque de puissance patent mentionné par Henri Godard quant à la sexualité de Céline se retranscrit-elle dans ses romans ? N’y a-t-il pas chez ces personnages misogynes une négativité et une positivité définies respectivement comme l’impuissance des héros céliniens à réellement s’engager avec les femmes, leur capacité à séduire, à cajoler. Jacques Henri nous décrit Céline comme un homme qui plaît aux femmes, qui a un certain succès, est aimé des femmes[1] :

« homme ayant aimé les femmes, ayant été aimé par les femmes, ou plus justement dit : ayant aimé des femmes, ayant été aimé par des femmes. Relisons le volume des Lettres à des amies publié par Gallimard en 1979. Premier constat : beaucoup d’étrangères, point commun avec Aragon,  et grande différence avec Breton qui avouait dans une enquête sur la sexualité qu’il lui était impossible de faire l’amour avec une femme noire et qu’il ne supportait pas un accent étranger chez une partenaire sexuelle. » (Henri)

Henri Godard[2] rappelle également que, jeune,  « Louis entretient parallèlement, non sans complaisance, des relations vaguement amoureuses avec d’autres jeunes filles [en plus de sa petite amie] ‘en tout bien tout honneur’ prétendra-t-il rétrospectivement » (52). Plus tard, alors qu’il habite à Paris, à Montmartre, Céline est encore une fois décrit comme un coureur de jupons, un jour une « Elizabeth », une autre fois une jeune viennoise, ou encore une danseuse de music-hall, « à laquelle il vient d’accorder ce brevet d’excellence, et qu’il va bientôt emmener sur la Malamoa  [péniche]» (Godard 148). Pourtant, si, beau garçon, Céline connaît un franc-succès auprès des femmes, cette positivité  représente-t-elle avec justesse le personnage célinien ? Dans Mort à Crédit[3], Voyage au bout de la nuit[4], Guignol’s Band I et Guignol’s band II (Le Pont de Londres)[5], nous sommes souvent amenés, tentés de voir dans les péripéties du narrateur un peu de la vie de Céline. Une vie romancée, certes, mais dont les lignes de fond sont très fortement inspirées de la vie de l’auteur.  Ainsi, dans Voyage au bout de la nuit, le héros Célinien, Bardamu, après être revenu du front et sorti de l’hôpital, va accumuler les conquêtes amoureuses. Une jeune américaine, Lola, lui donnera d’ailleurs la tâche de goûter les beignets destinés aux hôpitaux ; une joueuse de violon qui s’appelle Musyne ; des jeunes filles dans une arrière-boutique parisienne transformée par sa gérante en semi-bordel. Pourtant, cette figure positive du héros célinien, qui reflète le je de l’auteur est-elle tout à fait complète ? Ne faut-il pas, pour comprendre Céline et son œuvre dans sa totalité, aborder la négativité du personnage Célinien, comme miroir du je de l’auteur ?

Comment définir cette négativité ? Elle peut être comprise comme l’incapacité chez le héros célinien à se projeter, c’est-à-dire une certaine impuissance quant à ses relations avec les femmes. Cette question peut, encore une fois, étonner, puisque le héros célinien dans les romans susmentionnés agit souvent avec son auteur en miroir : toujours entouré de femmes. Et pourtant, c’est sa part d’ombre que nous souhaitons explorer. Nous souhaitons ici démontrer, éléments biographiques à l’appui, qu’il existe une négativité certaine chez le narrateur célinien qui s’explique par la négativité préexistante chez l’auteur, le premier je étant inspiré du deuxième je. De quelle nature, précisément, est cette négativité ? Elle est principalement sexuelle. Elle s’adresse aux femmes qu’il est incapable d’aimer véritablement. L’engagement, avec les femmes, est limité et compris chez le héros célinien comme un rapport exclusivement charnel, le popo l’obsède. Il n’y a pas chez le héros célinien de développement amoureux possible avec la femme. Céline lui-même, comme le précise Henri Godard, a quitté l’Angleterre pour rejoindre la France peu de temps après s’être marié avec une prostituée. Comment expliquer chez le héros célinien une certaine impuissance amoureuse ? Quels éléments de texte nous permettent de constater au mieux un dérèglement, au pire une psychose des femmes chez Céline ?

Nous aborderons premièrement le problème de cette impuissance à travers le quasi-viol dont a été victime Ferdinand Bardamu, étant jeune, dans Mort à Crédit. Nous analyserons également dans cette première partie les conquêtes de Bardamu dans Voyage au bout de la nuit, qui, toutes, se soldent par un échec. Après avoir constaté cette impuissance, sorte de passivité du narrateur devant les écueils qui se dressent lors des relations amoureuses, nous nous attacherons à étudier le narrateur-voyeur. Là encore, le je de l’auteur inspire le je du narrateur et il faut comprendre que la distance que pose le voyeurisme est aussi, à la lumière des éléments biographiques, une forme d’incapacité à engager le corps féminin.

C’est enfin une sexualité très ambigu qui rend compte de la négativité sexuelle du narrateur célinien. C’est la pédophilie dans Voyage au bout de nuit et Guignol’s band II  (Le pont de Londres), qui contribue à nous interroger sur la place de la femme dans les relations qu’établit Bardamu avec celles-ci. Où est-elle vraiment ? N’est-elle pas finalement l’objet principale de la négativité dans l’œuvre de Céline ? Une négativité voulu et (parfois) subie ; mais toujours sexuelle et qui fait du personnage célinien un anti-héros.

I. Céline : une impuissance amoureuse

Tout d’abord, tentons ici d’analyser l’origine de cette négativité sexuelle chez le personnage de Ferdinand dans Mort à crédit qui narre les péripéties du héros Célinien avant le Voyage. Dans le passage qui suit, Ferdinand est un jeune puceau, qui, non content d’être forcé par sa patronne à un cunnilingus, se retrouve véritablement prisonnier d’un sexe, le sexe féminin.

« Comme on étouffait déjà, c’était une fournaise… Elle voulait encore que j’en mette… Elle m’implorait par pitié comme à l’autre enflure… Au contraire, elle me faisait pas grâce d’un seul coup brutal… […] Enfonce-toi bien mon gros chouchou ! Enfonce, va ! Bien fort ! Hein ! T’en as, dis, une grosse ?… Ah ! Ah ! comme tu me crèves, gros salaud… Crève-moi bien ! Crève-moi ! Tu vas manger ? Dis-moi oui ! Oh ! Oh ! … Ah ! tu me détruis bien.. Ma petite vache !… Mon grand petit fumier !… » (Céline 190)

En d’autres termes, on découvre ici l’origine d’un certain malaise chez l’anti-héros célinien vis-à-vis de la femme ou comment s’explique la négativité sexuelle de Ferdinand. Le champ lexical de la force et de la soumission est présent : « m’agrippe par les oreilles », « me force à me courber », « me plie fort », « me maltraite », « je suis étranglée », « déshabille-toi ! Qu’elle me commande […] « C’était une vampire », « elle ne faisait pas grâce d’un seul coup brutal ». Qualifions la scène : c’est un quasi viol.  

« Va ! déshabille-toi ! qu’elle me commande, enlève -moi tout ça ! Que je voyer ton beau corps mignon ! Vite ! Vite ! Tu vas voir, mon petit coquin ! T’es donc puceau ? Dis, mon trésor ? Tu vas voir comme je vais bien t’aimer !… Oh ! le gros petit dégeulasse… il regardera plus par les trous. Elle se trémoussait tout le bassin en attendant que je m’amène !… Elle m’agrafe par les oreilles… elle me force à me courber, à me baisser jusqu’à la nature… Elle me plie fort… Elle me met le nez dans un état… C’est éblouissant et ça jute, j’en ai plein mon cou… Elle me fait embrasser… ça a d’abord le goût de poisson et puis comme une gueule d’un chien.. Vas-y, mon amour !… Vas-y hardi ! hardi !… » C’est elle qui me maltraite, qui me tarabuste… Je glisse moi dans la marmelade… J’ose pas trop renifler… J’ai peur de lui faire du mal… Elle se secoue comme un prunier… « Mords un peu, mon joli !… Mords dedans ! Va ! Qu’elle me stimule… Elle s’en fout des crampes de ruer ! Elle pousse des petits-cris… ça cocotte la merde et l’œuf dans le fond, là où je plonge.. Je suis étranglé par mon col… le celluloïd… Elle me tire des décombres… Je remonte au jour…. J’ai comme un enduit sur les chasses, je suis visqueux jusqu’aux sourcils… Elle remuait tout le plumard en zigzag …C’était une vampire… »  (Céline 189)

Ferdinand ne s’évertue pas à quitter la chambre immédiatement, il reste mais la fin est sans équivoque quant à la pénétration anale qu’elle lui fait subir avant qu’il ne s’enfuît en courant.

« Attend-moi, Loulou ! »… Je demande pas mon reste… Je bondis sur mon costard… J’attrape le battant de la porte, je pousse et me voilà sur le palier !… Je dévale quatre à quatre… Je respire un sérieux coup… Je suis dans la rue. » (Céline  191)

La portée symbolique de cette fuite est importante : c’est la première qui qui en précède de nombreuses autres. La négativité sexuelle ou impuissance de Ferdinand par rapport aux femmes, sa fuite perpétuelle des liaisons, des unions sérieuses trouve ici son explication. Traumatisé par cette défloraison, il n’aura plus jamais envie de ne voir autre chose qu’un morceau de chair chez la femme. Il décrira, à chaque fois, dans Mort à crédit, Voyage au bout de la nuit et Guignol’s Band I et II une perspective de sexe brute, jamais d’éloges ou d’évocations de sentiments. Cette scène et la façon dont Ferdinand ressent la violence physique dont il est victime constitue la fondation de cette négativité sexuelle. Ainsi dans Mort à Crédit:

« Elle se redresse, elle m’embrasse encore. Elle enlève tout… corsage… corset.. liquette… Alors je la vois comme ça toute nue… la chose si volumineuse … ça s’étale partout… c’est trop… Ca me débecte quand même..» (Céline 189)

L’odeur et le touché participent à cette violence sexuelle dont il fait l’expérience, bien malgré lui. Il est maltraité, utilisé, violer dans son propre intimité, en l’occurrence son popo :

« J’en pouvais plus !… Je renâclais… Elle me sifflait dans la musette… J’en avais plein le blaze, en même temps que ses liches.. de l’ail… du roquefort… Ils avaient bouffé de la saucisse… Je vais t’embrasser petit misérable ! ».. qu’elle me fait mutine. Elle me fout deux doigts dans l’ouverture. Elle me force, c’est la fête !… La salope en finira pas de la manière qu’elle est remontée !.. »  (Céline 190)

Le pire lors de ce demi-viol ? Ce n’est pas seulement la peine physique, la pénétration digitale de son postérieur mais surtout le vol de son « écrin » / portefeuille ! Elle le lui a pris quand elle le « travaillait ». Elle l’a dépouillé, et lui – ridicule – a beau se déshabiller tout entier dans « les chiots » pour vérifier qu’il ne l’a plus, rien n’y fait, il se l’est vraiment fait dérober :

« Elles étaient parties les épingles !.. Elles s’étaient pas enlevées toutes seules !… Ca me revenait subito la dôle de façon, qu’elle me tenait tout le temps par la tête.. Et de l’autre côté de la chaise ?… Elle travaillait avec une main.. Je comprenais tout ça par bouffées… ça me montait l’effroi, l’horreur… Ca me montait du cœur… » (Céline 191)

Céline est-il très loin de Ferdinand Bardamu ici ? Ferdinand est ici comme Céline, bridé. Dans la biographie d’Henri Godard, on peut d’ailleurs lire qu’ « au total, Céline se dit un ‘étalon très modéré » (145). D’ailleurs, comme Bardamu, pour Céline :

 « cette vertu (l’acte sexuel) a ses limites d’une part dans l’obsession (« j’ai toujours eu le mépris parfait des maquereaux pour les ‘clients’ avec leurs queues toujours à la main et le madrigal aux lèvres »), ‘autre part dans la dépense d’énergie , physiquement cette fois, qui en résulte (dans le roman, la jeune femme qui suscite la remarque sur la matière devenant vie veille à ne pas ‘surmener’ Bardamu, ‘à cause de ses travaux d’esprit’). Il y a pour Céline un bon usage du sexe, utile pour réveiller l’imagination et cette autre libido qu’est le désir d’écrire, mais qui risque aussi, si on en abuse, d’en détourner. » (Godard 145)

Il faut noter ici que Godard ne fait pas de distinction entre Céline et le personnage de Bardamu, l’un étant le reflet, assimilé à l’autre. Ainsi, cette négativité du sexe est en fait ici une négativité volontaire : Céline n’est pas un obsédé et n’a rien en commun avec les « clients » de prostitués.

Parfois cependant, cette négativité ou impuissance sexuelle (comprise dans une dimension relationnelle) est involontaire, subie chez Ferdinand. L’écriture de Céline est, toujours, concentré sur la dimension sexuelle de ses partenaires mais sans rien omettre en particulier des échecs. C’est le cas d’une musicienne, Musyne, dont Ferdinand s’est entiché et qu’il n’arrive pas à véritablement engager. Il n’est pas capable, en mesure, de s’assurer de sa fidélité. Cette négativité sexuelle à l’œuvre, son impuissance, ne présuppose-t-elle pas paradoxalement un Ferdinand utilisé, usé par les femmes ? Lui, le misogyne qui a l’habitude de se servir des femmes pour satisfaire ses plaisirs n’est il pas finalement celui qui est utilisé depuis le début ?  Madame Gorloge d’abord dans Mort à crédit, la petite Musyne ensuite dans le Voyage. Elle ne sont pas différentes.

« J’ai cru longtemps qu’elle était sotte la petite Musyne, mais ce n’était qu’une opnion de vaniteux éconduit. [..] Avec Muzyne nous décidâmes d’aller loger ensemble à Billancourt. C’était pour me semer en réalité ce subterfuge parce qu’elle profita que nous demeurions loin, pour rentrer de plus en plus rarement à la maison. Toujours elle trouvait de nouveaux prétextes pour rester dans Paris. » (Céline 87)

Lui, Ferdinand, l’esseulé, est un anti-héros célinien dont l’impasse se manifeste par la jalousie et la lutte physique, qu’il doit entreprendre pour garder celle qu’il considère comme « sa propriété »

« Dans mon désespoir tremblotant, j’avais entrepris, pour comble de gaffe, d’aller le plus souvent possible, je l’ai dit, attendre ma compagne à l’office. Je patientais, parfois jusqu’au matin, j’avais sommeil, mais la jalousie me tenait quand même bien réveillé, le vin blanc aussi, que les domestiques me servaient largement. Que faisait-elle donc pendant ce temps-là, cette garce, avec ses mains ? » (Céline 89)

Il l’attend souvent, toute la nuit , jusqu’au petit matin devant l’hôtel particulier des Argentins chez qui elle joue et se prostitue. Et « quand nous nous retrouvions au matin, devant la porte elle faisait la grimace en me revoyant. J’étais encore naturel comme un animal en ce temps-là, je ne voulais pas la lâcher ma jolie et c’est tout, comme un os » (89). Cette impuissance, on le découvre dans le Voyage, a finalement une double racine. Le manque d’engagement est à la fois dû, sur le plan symbolique, au traumatisme sexuel dans l’enfance, mais aussi sur le plan pratique à une situation financière affreuse et qui n’est pas sans rappeler les années de pauvreté de Céline après la guerre. Dans le Voyage, Céline fait dire à Ferdinand :

« On perd la plus grande partie de sa jeunesse à coups de maladresses. Il était évident qu’elle allait m’abandonner mon aimée tout à fait et bientôt. Je n’avais pas encore appris qu’il existe deux humanités très différentes, celles des riches et celle des pauvres. Il m’a fallu, comme à tant d’autres, vingt années et la guerre, pour apprendre à me tenir dans ma catégorie, à demander le prix des choses avant d’y toucher, et surtout d’y tenir. » (Céline 89)

La négativité sexuelle de Ferdinand est profonde, ancré dans le personnage célinien et reflète, dans une certaine mesure, le je de l’auteur. Mais dans quelle mesure ? Dans quelle mesure s’affirme la négativité sexuelle et est-elle à ce point corrélé à la vie de l’auteur ? C’est ce que nous allons nous attacher à étudier dans une seconde partie : le voyeurisme chez le je bardamurien et célinien, leur interconnexion.

II. Céline et Bardamu, les voyeurs

Quelle meilleure façon de démontrer, de dévoiler sa négativité sexuelle, son impuissance à engager la femme que dans un comportement de voyeur ? Car Ferdinand, comme Céline, est-il finalement un actif comme de nombreuses scènes de sexe laisse suggérer ou un passif viscéral qui préfère de loin contempler plutôt qu’engager son corps et son esprit ? On l’a vu plus haut, Céline n’est pas vraiment un obsédé du sexe : cela obérerait ses capacités d’écriture. Retrouve-t-on cette tendance au voyeurisme chez Ferdinand ? Que nous dit Godard quand à la propension de Céline au voyeurisme ?

« Il (Céline) a une telle passion pour le corps féminin que la simple vue de ses formes au repos , muscles devinés sous leur enveloppe de peau, représente déjà beaucoup pour lui. L’émerveillement est naturellement bien plus grand lorsque ces muscles sont en action, se contractent et se détendent, avec au fur et à mesure le miroitement changeant de la lumière sur la peau. Il est à son comble quand cette action est celle de corps en proie au désir, à ses élans et à son rythme. Pour se donner en spectacle, Céline accepte ce qu’il faut d’organisation et de mise en scène. Elizabeth ne répugne pas à s’y prêter. L’accompagnant dans une maison, elle le quitte pour aller dans une chambre avec une des filles, laissant la porte entrebâillée. » (Godard 147)

Mieux, se définissant par deux fois comme voyeur dans une correspondance avec un universitaire américain, Céline ajoute même que le sexe le fatigue ! Et que la position de voyeur le « chaut », lui qui se positionne comme « petit consommateur ». Ainsi :

« En 1948 à l’intention d’un universitaire américain qui projette une étude sur lui, il sera plus net encore : ‘ J’ai toujours aimé que les femmes soient belles et lesbiennes. Bien agréables à regarder et ne me fatiguant point de leurs appels sexuels ! Qu’elles se régalent, se broutent, se dévorent, moi voyeur. Cela me chaut ! et parfaitement ! et depuis toujours ! Voyeur certes et enthousiaste consommateur un petit peu mais bien discret.’ » (Godard 146)

Nous avons donc ici affaire à une négativité sexuelle volontaire : Céline est d’abord un voyeur, un passif qui préfère observer, mater. Il n’est seulement actif que si on le force en quelque sorte. Cela ne rappelle-t-il pas d’ailleurs le traumatisme vécu avec Mme Gorloge ? La distance crée le voyeur et cette distance, cette négativité n’est donc pas seulement un manque d’engagement sur le plan relationnel mais aussi sur le plan sexuel. Ferdinand fait-il montre, lui aussi, comme son auteur, d’une impuissance volontaire ? Est-il un également un voyeur ? De fait, il l’a toujours été : dès l’enfance dans Mort à crédit, plus tard à Paris et en Angleterre dans les music halls (Guignol’s Band), et surtout aux Etats Unis dans le Voyage : la simple vue des femmes américaines marchant dans la rue ou dans le hall de l’hôtel suffit pour lui procurer du plaisir.

Le jeune Ferdinand , dans Mort à crédit, se lie d’amitié avec un autre garçon, Robert, avec qui il regarda les femmes d’une façon bien particulière :

« Quand on s’est connus davantage, c’est lui qui m’a tout raconté. Il m’a montré le système pour regarder par les gogs, pour voir les gonzesses pisser, sur notre palier même, deux trous dans le montant de la porte. Il remettait des petits tampons. Comme ça, il les avait toutes vues, et Madame Gorloge aussi, c’était même elle la plus salope, d’après ce qu’il avait remarqué, la façon qu’elle retroussait ses jupes… » (Céline 174) 

La distance qui sépare le jeune Ferdinand des fesses de Madame Gorloge, le plaisir qu’il prend à mater, de façon répétée, et en compagnie de Robert les femmes qui passent, voilà les indices qui permettent de recouper le personnage et l’auteur. Cette manifestation d’impuissance, contrôlée, organisée, derrière deux trous « dans le montant de la porte », rapproche considérablement Ferdinand Bardamu de Louis-Ferdinand Céline. Ils sont bien tous les deux des voyeurs. Cette négativité sexuelle est d’ailleurs très précise : elle est sexuelle dans son sens le plus littéral, c’est le popo qui intéresse le narrateur et l’auteur.

Ferdinand mate le « poil au cul » , tandis que Céline, lui, ne veut pas parler de sexe vaginal, cette négativité qui le travaille le fait adorer uniquement le cul. Il écrit dans ces termes à une jeune autrichienne, Cillie Amber :

« Vous avez été tout à fait délicieuse avec moi et je suis bien content que vous soyez un peu amusée en ma compagnie. Vous possédez mille charmes et qualités en plus d’un superbe et inoubliable « popo » (elle lui a appris cet équivalent de cul en allemand populaire) ». (Godard 189)

Plus tard, à nouveau, Céline écrit à cette autrichienne d’origine juive :

« Vous m’aimez bien, lui répond-il, mais je vous fâche. Je ne parle pas assez d’amour. ‘Parlez damour !’ [..] L’amour est dans le sexe ( quoique pas seulement dans l’acte). C’est un ‘stimulant’. Céline en ressent le besoin en particulier quand il est plongé dans l’écriture : un bon popo est suceptible de remettre un peu d’animation qui s’épuise de temps en temps ». (Godard 189)

Ce voyeurisme, manifestation d’une négativité sexuelle certaine, se retrouve encore dans le Voyage lorsque, arrivé aux Etats-Unis, Ferdinand se positionne cette fois sur les jambes et plus précisément les cuisses des américaines. Il les décrit, les voit avec malice tout en retirant de cette lubricité un plaisir évident. C’est par exemple dans le vestibule de son hôtel :

« Encore me fallut-il passer dans le vestibule devant d’autres rangs, d’autres ravissantes énigmes aux jambes si tentantes, aux figures si délicates et sévères. Des déesses en somme, des déesses racoleuses ». (Céline 208)

Cet exercice de voyeurisme ne s’arrête d’ailleurs pas à la fin de la journée. Ferdinand, éprouvant une solitude dure, se retrouve à mater les couples des chambres avoisinantes à la tombée de la nuit. C’est la cuisse qui retient son attention : « les femmes avaient les cuisses très pleines et très pâles, celles que j’ai pu bien voir tout au moins. La plupart des hommes se rasaient tout en fumant un cigare avant de se coucher » (207). Le voyeurisme du personnage est, on l’a compris, similaire à celui d’un Céline, qui, lui aussi,  érotise les parties de chair qui se rapportent au popo : les cuisses, les jambes sont autant de points de focalisation de son regard. On notera d’ailleurs qu’à chaque fois ce voyeurisme du narrateur célinien s’opère dans un cadre bien précis, la ville. Il n’est pas question de campagne ou de banlieue. C’est la ville, grouillante, surmenée, qui procure à Ferdinand les scènes érotiques qu’il recherche. Alain Cresciucci, dans son article « Guignol’s Band : un séjour enchanteur, l’euphorie du sensible dans la vision de Londres » [6] nous rappelle que la ville participe à l’euphorisation, l’érotisation, des scènes urbaines. Nous entrons littéralement dans l’univers onirique de Céline via Guignol’s band :

« Le Londres de Guignol’s band établit sa féérie dans le mouvement et la légèreté. L’atmosphère écrase ou libère, apporte l’euphorie ou l’angoisse. L’enchantement procède de l’accord entre l’imaginaire et le réel de la narration, entre le fantasme – la mise en scène réel du désir – et son commentaire … » (Cresciucci 48)

Ainsi, dans Guignol’s Band II (Le pont de Londres), Ferdinand se trouve transit à la vue d’une jeune fille de « douze… treize ans peut-être ». Il la décrit en voyeur qui ne se cache pas. Cette fois, il s’attarde non plus sur les cuisses mais sur les mollets. L’écriture est beaucoup plus saccadée, comme si le narrateur, essoufflé, rompu par les émotions, avait du mal à se contenir – il est au bord de l’ivresse, de l’acte irréparable. Le voyeur ne se cache plus, il se tient debout et contemple, dans toute sa négativité sexuelle, l’enfant-proie qui le transporte, le rend dans un état second. C’est une poétique du voyeur qu’il esquisse à travers cette description toute en couleur. Son esprit virevolte devant Virginie dans Guignol’s Band II (Le pont de Londres) :

« Ah ! Ces beaux yeux bleus !… Ce sourire !… la poupée je l’adore !… Je l’écoute plus l’autre Ducon !… J’écoute plus rien, je reste en suspens, je peux plus rien dire… Si j’avais pas ces horribles fringues !… la honte me saisit… Si j’étais un petit peu rasé… si j’étais pas si emmerdé… je lui dirais tout de suite ce qu’elle me fait… l’effet merveilleux… Non ! je lui dirais pas… je resterais tranquille et tel quel… ému… baveux… malheureux… Ah ! quelle joie j’éprouve !… je n’ose plus !… Ah ! qu’elle est belle !… Les domestiques sont perplexes… ils devaient attendre leur patron… ils partent, ils nous laissent… on reste là tous les deux devant la fillette… on sait plus quoi faire… Quel âge elle a ?… douze… treize ans peut-être… à mon avis… enfin je pense… et ces mollets !… les jupes courtes… quelle grâce… quelles jambes splendides… dorées musclées tout !… elle doit être sportive… ça me fait toujours l’effet terrible… Je vois les fées que comme ça, moi, jupes courtes !… C’est une fée !… L’affreux Sosthène il gafe narquois… il me jette des clins d’œil… » (Céline 254)

L’aspect poétique, onirique du discours est céé par la distance qui se pose entre l’enfant – source d’inspiration – et le narrateur. C’est cette distance, ou frustration, impuissance, qui provoque le délire verbal : « et ces mollets…. Les jupes courtes… quelle grâce […] je vois les fées que comme ça, moi, jupes courtes !… c’est une fée !…». Le voyeur délivre ici véritablement une poésie de la négativité. Assumant pleinement son rôle, le voyeur-poète transforme la jeune fille en fée. Le voyeurisme se comprend désormais comme la stade ultime de la négativité. De la distance, de l’impuissance, Ferdinand tire sa force narratrice mais surtout poétique.

La poétique de la négativité chez le narrateur célinien s’exprime encore un peu plus loin avec la vision enflammé de Ferdinand qui, devant cette Virginie prépubère, devient rien de moins qu’un « oiseau de feu » :

« Ah ! mais le ciel va s’assombrir… je le vois au loin… je grelotte… Non ! Non ! je me fascine aux lueurs, aux ardeurs du feu… j’en louche !… je veux brûler avant le froid au plein brasier du miracle… je me jette en plein dedans, je m’ébroue, les flammes m’environnent, m’emportent, m’élèvent entre elles tout tendrement, tout tourbillon ! Je suis de feu !… Je suis tout lumière !… Je suis miracle !… J’entends plus rien !… Je m’élève !… Je passe dans les airs !… Ah ! c’en est trop !… Je suis oiseau !… Je virevole !… Oiseau de feu !… je ne sais plus !… c’est difficile de résister !… J’en hurle de plaisir… J’ai vu le bonheur devant moi dans le jardin du colonel !… ainsi je le jure !… Je l’ai vu buisson tout en flammes !… Je le répète !… Je le sais bien !… de l’émotion surnaturelle !… Et puis je comprends plus rien du tout !… J’avance un petit peu la main droite… J’ose… je me risque… je touche, j’effleure… les doigts de ma fée !… de ma rose, ma merveilleuse !… Virginie !… je la frôle à peine…. je n’ose plus !… » (Céline 345)

La symbolique du feu est ici extrêmement forte. Ce personnage célinien se consume dans sa vision, dans son voyeurisme. La jeune fille le rend fou en quelque sorte et actionne en lui une dimension créatrice inexplorée, celle de la poésie. Est-on en effet toujours dans le roman quand on lit :

« Partout tout autour de nous… crépitent à présent… voltigent mille flammèches … gracieuses banderoles de feu tout autour des arbres !… c’est la fête… la fête des airs… d’une branche à l’autre… tremblotantes… joyeuses pâquerettes d’étincelles, corolles à vif… camélias ardents… brûlantes glycines… à balancer par bouquets… entre les souffles de musique… le chœur des fées… l’immense murmure de leurs voix… le secret des charmes et sourires… La fête du feu bat son plein !… au parfait bonheur !… Ah ! je m’en trouvais si ébaubi si éberlué, transi d’amour que je n’osais plus même respirer… heureux jusqu’au sang… je l’entendais tourbillonner, me palpiter plein les artères… mon sang tout en fête… palpite… palpite… le cœur me gonfle… je brûle… je suis tout flamme moi aussi !…» (Céline 346)

Pourtant, cette poésie, fantasme d’une personnage Célinien, Ferdinand, sur une jeune fille de douze, treize ans n’est-elle pas coupable d’une sexualité déviante ? Le personnage célinien a ici presque quarante ans. L’inspiration qu’il tire de ce petit bout de femme, la poésie qu’il étale, justifie-t-elle un amour interdit ? C’est là un autre aspect de la négativité sexuelle, de l’impuissance du personnage célinien via à vis des femmes : son attirance pour les êtres prépubères, en d’autres termes la pédophilie de l’anti-héros.

III. Une sexualité ambigu

Nous avons déjà vu que la négativité sexuelle de Ferdinand, au-delà de sa double origine – dans l’enfance et le manque d’argent – et sa manifestation à l’âge adulte sur un mode voyeur, pouvait être aussi source de création littéraire. Mais à quel prix ? La négativité sexuelle ne s’exprime plus seulement ici dans la distance mais également dans l’acte sexuel perpétré non sur des femmes mais sur des jeunes êtres. Le personnage célinien déploie une sexualité ambigu, puisqu’il ne se contente pas d’épier, de mater, mais aussi, nous allons le voir, saisit des corps d’enfants qui font de lui une négativité sexuelle intégrale. S’il engage son corps et son esprit, c’est sur Virginie dans Guignol’s Band II, une gamine de « douze-treize ans » ; sur un jeune garçon-suceur dans Mort à crédit ; ou encore sur la fille de la gardienne de l’hôpital où il est convalescent dans Voyage au bout de la nuit.

Dans Guignol’s Band II (Le pont de Londres), Virginie, la « môme » qu’il a violé, lui apprend qu’elle est enceinte de lui… Immédiatement, Ferdinand Bardamu s’inquiète, tremble, se sait promis à la prison. Le champ lexical de la souffrance est présent : « peur », « merde », « terreur », « prison », « échafaud », « corde au cou », « couic » ! J’étais fadé », « larmes », « désespoir ». Et pour cause, il se voit confirmé le jeune âge par la jeune fille elle-même:

« Ah ! merde ! c’était moi ?… c’était elle ?… Ah ! je savais plus rien !… tout voguait… mêlait dans ma tête !… là dandinant tout debout dans le noir… elle contre moi… je la serrais fort… On nous voyait pas… y avait rien à voir… il faisait trop nuit… c’était bien !… tout barbouillait dans ma tête en plus des sifflets des vapeurs ! Ah ! j’étais fadé… moi !… moi !… « What age are you ? – Fourteen… – Fourteen !… quatorze !… » Ah ! voyez ça !… la musique !… puis vrai en plus !… c’était pas du rêve !… Je la tenais en pleurs… là toujours à me dandiner !… avec elle… il faisait beau… une belle nuit… tout en étoiles !… Ah ! je me souviens bien !… là sur la pelouse ! Ah ! j’étais pas fier !… quelle histoire !… je pouvais pas croire !… elle pleurait… pleurait… elle fondait en larmes, en sanglots… Ah ! y en avait plus !… ce désespoir !… elle toujours si en train enjouée, toujours un caprice, un autre !… à sauter… courir… bondir… on la tenait pas… un lutin ! Ah ! y en avait plus !… » (Céline 529)

Que dire de cette propension du narrateur à la pédophilie ? Sa négativité sexuelle est ici évidente : il met grosse une jeune fille anglaise, Virginie. Doit-on ici encore voir là un reflet d’une période de la vie de l’auteur ? Rien ne permet de l’affirmer. Ici précisément, la négativité sexuelle de Ferdinand ne rejoint pas celle de son auteur, du moins à la lecture de la biographie d’Henri Godard. Pas de penchants pour les très jeunes filles ou garçons chez Céline. Il n’en reste pas moins que la présence, dans l’œuvre, d’un personnage euphorique vis-à-vis d’une enfant permet de confirmer le caractère négatif de la sexualité du personnage, comprise comme son incapacité à engager un rapport avec la femme, relationnel et sexuel.

Dans Voyage au bout de la nuit, une scène similaire donne au lecteur un aperçu bref d’un trio sexuel assez inhabituel : Bardamu invité par le sergent Brandelore – un autre rescapé de la guerre, va forniquer avec la « petite fille » de la concierge de l’hôpital.

« En le quittant, je me rendis sans tarder à la messe avec mes compagnons reconstitués dans la chapelle battant neuf, j’aperçus Brandelore qui manifestait de son haut moral derrière la grande porte où il donnait justement des leçons d’entrain à la petite fille de la concierge. J’allais de suite l’y rejoindre, comme il m’y conviait. » (Céline 102)

Bardamu est donc l’anti-héros par excellence, celui qui, non content de crier en faux patriote enragé « Victoire, victoire, nous aurons la victoire ! » (100) tel un Brandelore dans le seul but de s’attirer les faveurs des aides-soignantes, se sert volontiers d’une jeune fille pour assouvir ses besoins sexuels et, partant, déploie, démontre, encore une fois sa négativité. La mention de la chapelle dans la même phrase participe d’ailleurs à l’établissement d’une certaine ironie. Loin d’aller se confesser, prier religieusement à la chapelle, il décide de prendre une toute autre route, celle de derrière la porte.

Conclusion

Dans ces conditions, on aura compris que la négativité sexuelle tant chez le personnage de roman que chez l’auteur, est réelle. Notons cependant une différence majeure : si cette négativité ou impuissance à engager la femme se manifeste à travers les faillites amoureuses et le voyeurisme chez Ferdinand et Céline, le premier voit son impuissance exacerbée par un comportement manifestement pédophile. Où est la femme dans Guignol’s Band II – Le Pont de Londres ? Il n’y en a point, seulement une jeune fille de quatorze ans, au nom évocateur, Virginie. Céline, par contre, bien qu’il soit responsable de l’écriture de telles séquences érotiques, ne semble pas puiser dans sa propre vie l’inspiration nécessaire à la composition de telles scènes. L’anti-héros célinien est donc un je fantasmé sur ce dernier point. On notera quand même que les échecs amoureux ainsi que le voyeurisme de l’auteur sont des formidables facteurs de création littéraire, tant sur le plan romanesque que poétique. En cela, la négativité sexuelle ne peut être séparé d’une créativité littéraire qui constitue le recto de l’aventure célinienne. Chaque fois que le je de l’auteur inspire, tutoie, le je du personnage, c’est pour former une écriture de la négativité sexuelle, et qui permet au lecteur de mieux comprendre, appréhender, la relation complexe de Céline avec les femmes.


[1] Henri, Jacques. Céline entre les femmes et ses démons. Mondes Francophones, 12/06/2011. Retrieved on 12/10/2019 : https://mondesfrancophones.com/uncategorized/celine-entre-les-femmes-et-ses-demons/

[2] Godard, Henri. Céline. Paris: Gallimard, 2018.

[3] Céline, Louis-Ferdinand. Voyage au bout de la nuit, suivi de Mort à Crédit. Paris: Gallimard, 1962.

[4] Céline, Louis-Ferdinand. Voyage au bout de la nuit, suivi de Mort à Crédit. Paris: Gallimard, 1962.

[5] Céline, Louis-Ferdinand. Guignol’s Band I ; Guignol’s Band II (le Pont De Londres). , 2011.

[6] Cresciucci, Alain. Guignol’s Band : un séjour enchanteur, l’euphorie du sensible dans la vision de Londres. Actes du colloque international de Paris. L.-F. Céline (20-21 juin 1986). Du Lérot éd. (Tusson) & Société des études céliniennes (Paris), 1987.


Bibliographie

Céline, Louis-Ferdinand. Voyage au bout de la nuit, suivi de Mort à Crédit. Paris: Gallimard, 1962.

Céline, Louis-Ferdinand. Guignol’s Band I ; Guignol’s Band II (le Pont De Londres). , 2011.

Cresciucci, Alain. Guignol’s Band : un séjour enchanteur, l’euphorie du sensible dans la vision de Londres. Actes du colloque international de Paris. L.-F. Céline (20-21 juin 1986). Du Lérot éd. (Tusson) & Société des études céliniennes (Paris), 1987.

Godard, Henri. Céline. Paris: Gallimard, 2018.

Henri, Jacques. Céline entre les femmes et ses démons. Mondes Francophones, 12/06/2011. Retrieved on 12/10/2019 : https://mondesfrancophones.com/uncategorized/celine-entre-les-femmes-et-ses-demons/